Marianne Dauphin est
psychiatre et travaille plus particulièrement dans le domaine de l'enfance en
danger. Elle est aussi maman d'une petite fille et d'un petit garçon adoptés
tous deux en Russie.
1) La réalité de
la rencontre :
C'est le premier contact physique
avec l'enfant. On lit souvent des
témoignages du type: `C'était formidable, nos yeux se sont croisés et nous
avons tout de suite su que c'était lui, c'était notre enfant' mais ces récits
idylliques ne correspondent pas forcément à la réalité. Il arrive souvent que
cela se passe différemment.
On arrive à cet instant tellement attendu et
idéalisé après un long parcours du combattant souvent éprouvant et tout à coup,
on se retrouve dans un orphelinat qui ne ressemble pas à l'image qu'on s'en était
faite (odeurs, etc…) et surtout devant un enfant qui n'est pas toujours au
meilleur de sa forme. Il peut être fatigué, apeuré et peut se mettre à pleurer
en se demandant qui sont ces gens qui sentent bizarre et qui parlent une autre
langue.
Il sent confusément que quelque chose d'important se trame autour de
lui mais n'est pas certain que les évènements qu'il pressent aillent dans son
intérêt. L'enfant a été paré par le personnel de l'orphelinat pour plaire à ses
futurs parents mais ces tentatives 'd'embellissement' peuvent désarçonner les
adoptants.
L'énorme nœud dans les
cheveux d'une petite fille presque chauve semble incongru. Parfois, l'enfant vient d'être malade, il a
encore des marques de bleu de méthylène ou d'éosine sur le visage.
Cela peut ne pas être l'éblouissement
total et il faut s'y préparer.
Quelques conseils : essayer de ne pas
se précipiter sur l'enfant en faisant éclater ses émotions et si possible,
demander le dossier médical de l'enfant avant plutôt que pendant ou après cette
rencontre si importante.
On conseille souvent de déshabiller totalement l'enfant, pour vérifier
son intégrité physique, mais cette entrée en matière est pour le moins abrupte
pour tout le monde, mieux vaut laisser passer un certain laps de temps,
demander à assister à un soin, à donner un repas ou à observer tranquillement
l'enfant dans son environnement familier.
Souvent les enfants n'ont jamais vu
d'hommes. Le personnel des orphelinats est presque exclusivement féminin. Les
enfants peuvent s'effrayer en voyant et en entendant leur futur père.
2) Le dossier
médical :
Oui, on peut s'y fier. Il faut savoir que les médecins russes
n'appréhendent pas la médecine comme on peut le faire en Europe. Ainsi, ils
montrent presque systématiquement le nouveau-né à un
neurologue. Vous trouverez très
fréquemment dans le dossier des termes tel que 'encéphalopathie néonatale,
syndrome pyramidal, etc…'.qui, en France, seraient des
symptômes de pathologies graves mais qui, en Russie, ne traduisent la plupart
du temps que l'immaturité du système nerveux du bébé.
Il ne s'agit le plus
souvent que d'un bébé un peu tendu, un peu trémulent
ou qui pleure beaucoup. Il est
totalement inutile et illusoire de demander des précisions sur ces termes. Les
explications données seront au mieux très floues et le plus souvent inexistantes.
Il est beaucoup plus utile et
pertinent de demander si l'enfant, présente encore, à l'heure actuelle, des
séquelles des symptômes mentionnés sur le dossier. Si la réponse est négative, mieux vaut ne pas
s'appesantir sur la question.
Même si le dossier médical semble
chargé, il est préférable de voir l'enfant, car de bonnes surprises sont
possibles.
Vérifier les courbes de croissance :
Poids, taille, périmètre crânien en
sachant que les enfants sont souvent plus petits que s'ils étaient en famille.
Il faut donc aussi vérifier la proportion entre ces différentes courbes. Il est
normal qu'un enfant ait un petit périmètre crânien s'il est de petite taille et
de petit poids, en revanche un petit périmètre crânien chez un enfant de taille
et poids normaux doit inquiéter. Il faut
bien sûr tenir compte également d'une éventuelle prématurité et raisonner en
âge corrigé. (nombre de semaines réel – nombre de semaines de prématurité)
Essayer d'obtenir plusieurs mesures à
différents âges afin de pouvoir tracer la courbe. Si cette courbe est
régulièrement ascendante et qu'à un certain moment vous remarquez une cassure,
n'hésitez pas à interroger le personnel de l'hôpital sur les éventuels épisodes
pathologiques ou évènements survenus au moment de la cassure.
Un petit périmètre crânien peut
vouloir dire fœtopathie alcoolique. Cette pathologie peut être indétectable
mais certains signes peuvent être visibles, notamment au niveau du visage à
savoir :
Ces enfants sont souvent très pâles
avec une petite tête. Il peut ne pas exister de sillon entre le nez et la lèvre
supérieure (philtrum) La lèvre
supérieure est très mince. Les oreilles
sont basses avec une anomalie dans leur implantation. Le retard mental est de mise et sera évident
plus l'enfant avance en âge.
Il est important de pouvoir avoir des
éléments sur la mère de naissance pour essayer de détecter une telle
pathologie. Exemple: une mère de 44 ans
qui a eu 9 grossesses dont 5 enfants sont placés a plus de risque de boire
qu'une mère de naissance de 16 ans.
Néanmoins ce n'est pas toujours vrai.
Score d'APGAR : 'une note' est donnée
au bébé à la naissance et 5 minutes après la naissance. 5 items (fréquence
respiratoire, coloration, rythme cardiaque, réflexes, tonus musculaire) sont
cotés,
chacun sur deux points et la somme de
ces 5 notes donne donc un score sur 10.
De 7 à 10 : Tout va bien! De 3 à 7 : il y a eu des problèmes. Lesquels
? Y'a t-il eu besoin de réanimation? De traitements particuliers, d'une
hospitalisation, de rééducation? Moins
de 3 : L'enfant est né en état de mort apparente et a dû être réanimé.
Pour compléter ce tour d'horizon,
disons qu'il est bon de voir l'enfant en interaction avec les autres enfants.
C'est l'occasion d'observer son comportement avec ses pairs, avec ses
'nounous'.
Il faut considérer comme un signe positif le fait qu'il ne vous
saute pas tout de suite au cou en vous appelant 'papa' et 'maman'. C'est signe
qu'il fait une différence entre le familier et l'étranger qu'il n'accorde pas
sa confiance au premier venu.
Concernant
l'hyperactivité : le diagnostic ne peut pas être posé sur un enfant de moins de 2 ou 3
ans. Il est vrai que ces enfants sont
souvent très petits.
Cet état de fait
s'explique de plusieurs manières:
- La grossesse
de la mère a souvent été difficile : peu ou pas suivie médicalement, la mère ne
s'est sans doute pas arrêté de travailler, ne s'est souvent pas nourrie
correctement, n'a pas reçu les compléments vitaminiques dont elle aurait
eu besoin.
- Ces enfants
reçoivent une nourriture pauvre en protéines
- Ces enfants
peuvent être soumis au stress. Ils sécrètent donc de l'adrénaline et du
cortisol qui sont des substances qui permettent de faire face à ce stress mais
qui inhibent le système immunitaire et la croissance.
Les sérologies HIV Hépatites sont en
général, fiables mais il est de bonne politique de les faire refaire en
arrivant en France, ne serait-ce que pour avoir la conscience tranquille.
On dit souvent qu'une fois en France
dans leur famille, les enfants rattrapent leur retard de croissance. Sur ce point également, la prudence est de
mise, s'il est vrai que nombre d'enfants
vont rattraper les courbes de croissance de la moyenne des enfants français, ce
n'est pas le cas de tous.
Certains enfants resteront petits.
En conclusion :
Si la rencontre n'est pas celle
qu'on attend, cela ne présage absolument pas des liens qui vont se nouer donc
pas de panique ! S'il y a un doute,
demandez à réfléchir et à revoir l'enfant. Prenez du temps. Il faut savoir refuser un enfant si on ne se
sent pas près à l'accueillir du fait des symptômes qu'il présente. Les parents adoptifs ne sont pas en train de
faire œuvre humanitaire mais de créer leur famille.
source apaer
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