N’en déplaise aux donneurs de leçons de morale et de politique, la
démocratie russe a bien fonctionné. Le message délivré le 2 mars par
les électeurs est très clair : à 70,2 %, ils approuvent le bilan
présenté par Vladimir Poutine. Arrivé en deuxième position, Guennadi
Ziouganov, le candidat du parti communiste, n’a obtenu que 17,8 %.
C’est bien un nouveau plébiscite pour le chantier de redressement
économique, social, administratif et civique entrepris par Poutine
depuis 2002.
Les oiseaux de mauvais augure avaient
aussi annoncé un “putsch constitutionnel” avant l’élection. Mais
Poutine n’a pas touché à la Constitution pour pouvoir effectuer un
troisième mandat. Plus subtil, il a facilité la victoire de son fidèle
Dmitri Medvedev, en préemptant il est vrai le poste de premier
ministre. Les Russes ont voté en toute connaissance de cause en faveur
de ce tour de passe-passe politique, dans la tradition des célèbres
matriochkas (les poupées russes). L’association politique de Medvedev
(président) et Poutine (premier ministre) leur semble la meilleure
solution pour pérenniser cette renaissance nationale.
Pour au
moins quatre ans encore, l’espérance russe reste entre les mains de la
même équipe. Sauf si l’expérience, qui commence le 7 mai, date
officielle de la passation de pouvoir, ne va pas à son terme. C’est la
grande interrogation à Moscou. « Où sera le pouvoir ? » titrait cette
semaine le quotidien Vedomosti, en résumant le sentiment général.
Tout
indique que le discret Medvedev, 42 ans, sera aux ordres de Poutine. Il
lui doit toute sa carrière, depuis la mairie de Saint-Pétersbourg, au
début des années 1990, jusqu’aux postes de président de Gazprom (depuis
2000) et de vice-premier ministre (2005). Medvedev succombera-t-il au
“vertige du succès” que certains prédisent, en prenant le risque de
secouer la tutelle de son puissant mentor ? En Russie, comme ailleurs,
l’histoire abonde en exemples de dauphins pressés qui mordent un jour
la main qui les a nourris. Poutine le sait. Détecté et promu par Boris
Eltsine, le loyal officier du KGB mit lui-même moins de cinq ans pour
écarter le clan Eltsine et s’asseoir dans le fauteuil de président.
La
cohabitation qui va s’instaurer à Moscou est inédite mais la
répartition des pouvoirs est claire. Selon la tradition fortement
centralisatrice de la Russie, héritée de l’empire des tsars, perpétuée
sous le régime soviétique et poursuivie depuis 1991, la quasi-totalité
des prérogatives est concentrée entre les mains du chef de l’État, à
travers les principales nominations. Les deux mois de transition et le
choix des équipes vont clarifier la situation. « J’ai travaillé comme
un forçat aux galères », disait Poutine pendant la campagne. À 55 ans,
le “forçat” est en pleine forme. Il se veut aussi lucide : « On
essaiera de nous diviser, mais tout se passera bien, il n’y aura pas de
problème. »
Frédéric Pons
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