Les Russes sont invités dimanche 2 mars à
avaliser l'élection de Dmitri Medvedev, le successeur au Kremlin que
s'est choisi Vladimir Poutine.
Il n’est pas en campagne électorale. Mais,
tel un président en apprentissage, il travaille déjà. Dmitri Medvedev,
actuel premier vice-premier ministre russe et dauphin adoubé par
Vladimir Poutine pour l’élection présidentielle de dimanche, sillonne
le pays. Il ne participe pas aux débats électoraux. Il ne fait pas de
propositions, ne défend pas de programme. Il ne lance pas d’appel à
voter pour lui. Et il ne répond guère aux questions.
« Monsieur
Medvedev, on peut vous poser une question ? », essaie-t-on néanmoins,
criant en direction de la foule de gardes du corps. C’était jeudi
dernier à Kazan, grande ville sur la Volga. Le candidat file sans
répondre mais, choquée, l’une de ses jeunes attachées de presse
intervient immédiatement. « Cela ne se fait pas ! Question de
courtoisie. Nous sommes ravis de répondre à toutes vos demandes faites
à l’avance. Mais ce n’est pas possible dans le cadre de la visite
d’aujourd’hui : le premier vice-premier ministre n’est pas en campagne,
il est ici en déplacement de travail. »
Ainsi se déroule la
vraie-fausse campagne électorale de Dmitri Medvedev. « Il vient nous
montrer qu’il travaille. Et nous sommes là pour le montrer au public »,
ajoute avec cynisme l’un des journalistes de télévision venus de
Moscou. « Ce n’est pas un problème d’éthique car, comme les
téléspectateurs, nous sommes habitués à ce spectacle ! », ironise sa
collègue d’une chaîne locale qui, pareillement contrôlée par les
autorités, montre soir après soir les « déplacements de travail » de
Medvedev-le-ministre.
« Nous ne sommes pas dupes… mais n’avons
pas le choix. Le pire, c’est que le Kremlin est populaire et n’a pas
besoin de cette manipulation pour l’emporter », regrette un cameraman,
entre fatalisme et indifférence face à « cette mise en scène ».
Tout « déplacement de travail » a un thème
Car,
suivie par une centaine de journalistes, la visite à Kazan mobilise de
grands moyens. Des milliers d’adolescents ont été conviés pour un
concert. Avec, entre les groupes de pop, une star, « le premier
vice-premier ministre », acclamé par la foule surchauffée par ce show
aux allures de meeting.
En jeans et veste rapiécée aux coudes,
Dmitri Medvedev est d’humeur joviale. Sur la poitrine, il arbore un
pin’s clignotant. Son discours improvisé micro en main est tout aussi
brillant d’efficacité. Son message : de tels concerts n’auraient pas
été possibles sans le développement économique de ces dernières années
; ensemble, poursuivons le chemin… « Russie en avant ! », conclut-il
avec des accents patriotiques.
Plus tôt, le candidat est déjà
apparu décontracté dans son anorak pour dialoguer par – 15° avec des
enfants en pleine partie de hockey sur glace. Puis, sérieux dans un
costume sombre, il a présidé une table ronde sur l’avenir de
l’éducation physique. Car tout « déplacement de travail » a un thème :
l’histoire à l’ex-Stalingrad, la santé dans l’Oural, l’agriculture dans
l’Altaï, la démographie et l’économie en Sibérie. Avec, à chaque fois,
des déclarations largement reprises dans les journaux télévisés, hors
décompte des temps de parole entre candidats puisque, officiellement,
il ne s’agit ni de propositions, ni de visites électorales.
À
Kazan, concentré sur son labeur, Dmitri Medvedev a pareillement axé ses
propos sur un thème : le sport. « Seulement 20 % des jeunes pratiquent
régulièrement un sport. Que font les autres ? », s’inquiète-t-il lors
de la table ronde. Son projet : ne pas retourner au modèle soviétique
mais s’en inspirer pour relancer un système fort d’éducation physique.
Medvedev tend à ressembler de plus en plus à Poutine
«
Il fera un très bon président. Intelligent, instruit, concret, patient,
attentif, efficace », se félicite après la réunion Chamil Tarpichev, le
gourou de la fédération russe de tennis, ex-entraîneur personnel de
Boris Eltsine, parfaitement adapté au système poutinien. « Le style de
Medvedev ressemble à celui de Poutine. Ils dirigent les réunions de la
même manière : discipline et rapidité, dialogue clair et concret ! »
Initialement
réputé pour son allure plutôt gauche, son faible charisme, son
caractère mou et sa voix douce, Dmitri Medvedev, 42 ans, tend à
ressembler de plus en plus à Vladimir Poutine, 55 ans. Même
impressionnante maîtrise des dossiers, même visage sérieux et regard
concentré, même agacement aux lèvres, même ton parfois cassant.
Une
mue sans doute difficile pour un homme encore mal à l’aise en public,
mais profitant désormais de sa non-campagne pour s’entraîner à
l’exercice des foules. Sous le regard de Poutine, modèle et supérieur
hiérarchique, auquel il est lié par dix-sept ans d’amitié et de
collaboration.
Habitué à ce rapport élève-professeur rassurant
pour un électorat désireux de transition bien gérée, Dmitri Medvedev
paraît aujourd’hui forcer sa nature pour se forger une nouvelle
personnalité. À Kazan, le pas alerte mais mécanique, il a affiché
sérénité et décontraction. Ses mouvements, rigides et saccadés,
manquaient cependant d’aisance. Comme si une vague inquiétude demeurait
tapie derrière sa désinvolture affichée. Mais, bien sûr, le journal
télévisé du soir n’en a rien dit.
Benjamin Quesnelle
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2330344&rubId=1094
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