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Les enfants du paradis

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Vladimir Poutine, un grand sujet de plaisanteries
18-02-2008

À l'approche de la présidentielle du 2 mars, quatre Russes nous racontent leur pays, façonné par Vladimir Poutine. Aujourd'hui, Viktor Chenderovitch, célèbre humoriste

«En pleine nuit, Poutine se lève et se précipite vers la cuisine. Dans le frigidaire, c’est la panique. Le poulet croit que son heure est arrivée et, à la vue du président affamé, se met à trembler de peur. “Ne crains rien…, rassure le chef du Kremlin. Je viens juste boire un verre de lait !” » Les blagues sur Poutine sont pléthore et Viktor Chenderovitch, célèbre humoriste russe, se régale à les raconter.

Mais aussi à les analyser. Car tout anekdot (l’habituel mot russe pour ces histoires drôles) « révèle quelque chose d’important sur la société. Ce n’est pas innocent si un grand nombre de blagues sur notre président jouent sur la notion de peur… », explique Chenderovitch. Les autres thèmes récurrents ? « L’entourage de Poutine, ses amis de Saint-Pétersbourg, ses anciens collègues du KGB. Et la corruption, en plein boom sous sa présidence depuis huit ans. »

Ses blagues et ses critiques sur le Kremlin, Chenderovitch, 50 ans, ne peut cependant plus les partager avec le public à la télévision. Depuis quatre ans, aucune des principales chaînes, désormais toutes sous le contrôle du pouvoir, ne l’a jamais invité. Dans les années 1990, c’était pourtant l’une des stars du petit écran. Journaliste et satiriste, Chenderovitch écrivait notamment les scénarios des « Kukly », ce bêbête-show russe qui caricaturait sans ménagement les hommes politiques.

Un programme très populaire sous la présidence Eltsine lorsqu’un vent de liberté soufflait sur la télévision et qu’en famille les Russes regardaient émissions impertinentes et débats politiques. « Les temps ont changé », sourit Chenderovitch, acide mais lucide. « Eltsine était un vrai homme politique, prêt aux critiques. Poutine, lui, n’a jamais été et ne sera jamais un homme politique. Pas plus que Medvedev… (NDLR : le successeur adoubé par le président et assuré d’une large victoire à la présidentielle du 2 mars). »

Régime autoritaire et genre satirique ne peuvent pas vivre ensemble

Dès le début de son premier mandat en 2000, Poutine a commencé à replacer les médias sous la houlette du Kremlin. Les chaînes de télévision, qui n’étaient certes pas indépendantes car appartenant à d’influents oligarques, ont progressivement perdu tout sens critique. « Et tout sens de l’humour ! », regrette Chenderovitch. Les « Kukly » comme les vrais débats politiques ont depuis longtemps disparu des écrans. Et, entre deux livres, l’humoriste est réduit aujourd’hui à animer des émissions sur de petites radios libérales à l’auditoire limité.

« Dans la rue, les gens me demandent souvent pourquoi je ne fais plus les “Kukly” », raconte Chenderovitch. « La plupart soutiennent Poutine mais ils ne comprennent pas que voter Poutine c’est voter contre les “Kukly”. Régime autoritaire et genre satirique ne peuvent pas vivre ensemble. Mais personne n’ira manifester pour demander au Kremlin plus de liberté de parole car la période démocratique a été trop courte pour que notre société civile ait pu vraiment se renforcer. »

L’humour n’est cependant pas absent des écrans. Bien au contraire. Des émissions imitent vaguement les anciennes satires – « ce n’est que de la simulation et bien souvent ce n’est pas drôle ! » Mais surtout, aux heures de grande audience, se sont multipliés les programmes de « comiques » : les sketches s’enchaînent, entremêlés de fous rires et d’applaudissements mis en scène. Les téléspectateurs sont nombreux et plusieurs « comiques » sont devenus de vraies vedettes. « Mais l’humour est souvent lourd, jouant sur les bas instincts. Pour le public, ces programmes sont un moyen de décompresser », témoigne Sergueï Popov, simple téléspectateur issu de l’intelligentsia moscovite et nostalgique de « l’humour piquant des “Kukly” ».

« Un opium pour le peuple ! », ironise Chenderovitch. « Le vrai sens de l’humour russe n’est pas pour autant mort car il ne dépend pas du régime politique. La Russie est, par nature, un pays triste où la vie est difficile et la population bien souvent sans défense. Fatalement, notre sens de l’humour diffère de celui d’Europe de l’Ouest : il est profond et proche du tragique. »

Une différence qui, selon lui, a aussi une dimension politique. « Contrairement aux démocraties occidentales, nous n’avons pas de vrai parlement ni de système judiciaire indépendant. Du coup, face aux autorités, il reste la dérision. D’où toutes ces blagues sur la politique que les gens se racontent entre eux, à la maison, au travail, sur Internet… et même au Kremlin ! Car, aujourd’hui, nous ne vivons pas sous la même peur que sous Staline. Ce n’est qu’une parodie de peur… », plaisante Chenderovitch, à moitié sérieux.

Benjamen QUENELLE
http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2329269&rubId=4077
 
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