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Les enfants du paradis

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Carences affectives et difficultés d’attachement
30-11-2011
Carences affectives et difficultés d’attachement

Pour réaliser un développement psychoaffectif harmonieux, le nourrisson doit pouvoir bénéficier d’un certain nombre d’apports, à travers les échanges qu’il a tout d’abord avec sa mère, puis avec tout adulte prenant soin de lui : ses besoins doivent être reconnus et satisfaits de façon suffisamment régulière et continue, pour lui permettre de se construire une représentation interne de l’autre et établir un lien de confiance avec cet autre dont il dépend.
On désigne par « carence affective » l’insuffisance quantitative ou qualitative des interactions précoces entre l’enfant et son entourage proche. La carence affective peut apparaître dans différentes situations :
  • Lorsque la mère est absente et le nourrisson placé dans une institution où il ne rencontre pas de substitut maternel adéquat.
  • Lorsque le nourrisson est séparé de sa mère de façon répétée, irrégulière et fait l’expérience d’une importante discontinuité de soins.
  • Lorsque le nourrisson vit avec une mère qui n’est pas en mesure de lui fournir un maternage adéquat.
La carence peut donc être aussi bien extra familiale qu’intra familiale. Cependant, certains enfants sont plus à risque de souffrir de carences affectives : les enfants abandonnés, ceux qui sont entourés d’adultes non fiables et ceux, enfin, qui ont subi de nombreuses ruptures précoces, notamment dans le contexte de placements. Ces séparations successives, discontinuités et incohérences de soins les amènent à souffrir d’états dépressifs. La dépression est une réponse émotionnelle déclenchée par l’expérience du manque ou de la perte d’un lien affectif privilégié. Il peut s’agir de pertes réelles, prolongées, définitives ou temporaires, mais aussi fantasmatiques et relatives au sentiment de « ne plus être aimé » sans évènement réel associé.Enfin, les carences affectives peuvent être à l’origine de troubles affectifs graves qu’on désigne par « troubles de l’attachement ».

Qu’est-ce que l’attachement ?
L’attachement peut être défini comme le lien fondamental d’un bébé à l’égard de la ou des personnes qui l’élèvent. Les fondements essentiels de ce lien sont la satisfaction du besoin de proximité du bébé, ainsi que le sentiment de sécurité procuré par cette proximité. Le bébé tente de provoquer la proximité avec une figure d’attachement préférentielle au moyen de certains comportements apparemment innés tels que le sourire, la vocalisation, les pleurs ou l’agrippement. L’existence et la qualité de l’attachement dépendent de l’existence et de la qualité de la réponse de la figure d’attachement. Son absence de réponse provoque des émotions d’angoisse, de colère et de tristesse.
L’expérience d’un attachement particulier est considérée comme un fondement de la personnalité : sa nature influence la capacité d’un individu à créer des liens, à contrôler ses émotions, à s’adapter socialement et à résister au stress tout au long de sa vie. Le sentiment d’attachement, avec ses aléas positifs et négatifs, est éprouvé par tout être humain, mais a été en grande partie étudié à partir de la situation des enfants placés en institution.

Aux origines de la notion
Depuis la seconde guerre mondiale, on observe les effets négatifs de l’institutionnalisation sur le développement physique et émotionnel des enfants, en particulier lorsque le nombre d’éducateurs est insuffisant, que les soins sont donnés de façon routinière, non individualisée, incohérente, peu chaleureuse et imprévisible. Les enfants n’ont alors aucun moyen de se lier à une figure d’attachement stable.
Divers psychanalystes, dont Anna Freud (1895-1982) et Dorothy Burlingham (1891-1979), ont décrit les effets traumatiques de la séparation durable de très jeunes enfants et de leur mère dans le contexte des bombardements de Londres, où les enfants étaient évacués à la campagne : en cherchant à assurer leur survie physique, on a agi au détriment de leur santé psychique. Depuis lors, dans les situations de guerre, les organisations internationales évitent d’évacuer les jeunes enfants sans leur figure d’attachement. Aux Etats-Unis, le psychiatre et psychanalyste René Spitz (1887-1974) fait connaître au même moment les effets désastreux de l’institutionnalisation sur le éveloppement des enfants. Ceux-ci dépérissent et se laissent parfois mourir à défaut d’être considérés comme des personnes avec des besoins psychiques et affectifs et non seulement physiologiques. Il invente la notion d’hospitalisme qui décrit l'ensemble des troubles dus à une carence affective et survenant chez les jeunes enfants placés en institution dans les dix-huit premiers mois de la vie.Le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby (1907-1990) rend en 1951 un rapport à l’OMS intitulé "Maternal Care and Mental Health", qui porte sur la situation des nombreux enfants institutionnalisés suite à la guerre ; il illustre les effets de la carence en soins maternels et montre qu’elle entraîne notamment, sur le plan des émotions, des relations affectives superficielles, une inaccessibilité à l’autre, ainsi qu’une absence de réaction émotionnelle. Son élève, Robertson, décrit les phases évolutives de la séparation durable chez le jeune enfant : protestation - désespoir - détachement.

De nombreux psychologues (Ainsworth aux USA, Guedeney en France, Pierrehumbert en Suisse) ont travaillé et travaillent actuellement sur la notion d’attachement qui a profondément influencé les enseignements et les pratiques relatives à la petite enfance.
Sur le plan de la prévention, la théorie de l’attachement a entraîné d’importants changements dans la reconnaissance des besoins fondamentaux des enfants et révolutionné certaines pratiques professionnelles. Elle a contribué au développement des hospitalisations parents - enfants, à une meilleure organisation des modes de garde et à la prise en considération des problèmes suscités par les séparations précoces en général. Sur le plan curatif, cette théorie se rattache à des notions comme celle de « résilience » (développée notamment par Boris Cyrulnik) et de « plasticité neuronale » (développée par Ansermet et Magistretti, en Suisse). Placé dans d’autres conditions relationnelles, l’enfant peut en effet construire un nouveau type de relations et dépasser les traumatismes vécus.
Enfin, comme toutes les théories, la notion d’attachement éclaire d’un seul point de vue une réalité beaucoup plus complexe, qui peut aussi être abordée sous l’angle des carences affectives, des troubles du comportement ou de la personnalité. Elle ne saurait donc être utilisée comme un outil d’interprétation unique de la situation d’un enfant, ni l’enfermer dans un diagnostic prédictif. Les difficultés d’attachement que vivent certains enfants, mais aussi l’évolution dont ils font parfois preuve nous persuadent de miser sur la souplesse psychique des individus lorsqu’ils sont accompagnés précocement et avec délicatesse.

Adoption et attachement
Dans notre contexte actuel, la filiation adoptive implique des enfants qui témoignent pour la plupart d’un vécu carentiel sur le plan affectif. L’adoption internationale en particulier les confronte à la construction d’un lien de confiance avec des nouveaux parents qui passe par la séparation d’avec un environnement connu, aussi carencé soit-il.L’adoption pose donc un certain nombre de défis d’attachement.

Que vit l’enfant ?
Du côté de l’enfant, d’une part, les difficultés d’attachement se résolvent plus ou moins bien en fonction de son âge, de la durée de la carence qu’il a subie et de la capacité de ses parents à y faire face, ainsi qu’à demander aides et conseils à des professionnels de la santé psychique. Les groupes de parents, s’ils peuvent apporter une aide, ne semblent pas toujours suffisants.
Les difficultés d’attachement spécifiques aux enfants confiés en adoption interpellent autant les pays d'origine et leurs autorités compétentes que les intermédiaires en adoption. En dépendent, en effet, la santé psychique de l'enfant et la réussite de son inscription dans une famille d’adoption, mais également l’équilibre futur de cette famille. Ainsi, tous les enfants ne sont pas aptes à vivre l’adoption, quelles que soient les qualités des familles : certaines carences graves peuvent être une contre-indication.
L’enfant, même très jeune, arrive dans sa nouvelle famille avec un certain vécu, un « bagage de vie » qui contient les réponses qu’il a jusque là reçues de son environnement à son besoin vital d’attachement et grâce auquel il va pouvoir se construire. Ces réponses n’ont pas toujours été adéquates ni suffisantes, notamment dans certains milieux de vie de type institutionnel où il n’a peut-être reçu que des soins physiques et médicaux, sans être investi de façon personnalisée et chaleureuse par un nombre restreint d'adultes. Si on lui a montré trop peu de signes d’affection, il risque d’avoir mal développé la capacité de s'attacher à l’autre. En outre, chaque enfant est unique et plus ou moins « bien équipé » pour attirer l’attention et susciter des comportements maternants au sein du personnel soignant.

Le vécu intrapsychique et intersubjectif de l’enfant antérieur à l’adoption reste donc en partie mystérieux pour ses futurs parents. C'est pourtant avec ce bagage potentiellement défaillant et partiellement inconnu qu'il aborde les relations dans sa famille adoptive. Dans ces conditions, apprendre à vivre en famille est un véritable défi pour l’enfant et suppose de la part de ses parents une disponibilité et une attention particulières. Il est essentiel de mettre en priorité la création du lien avec l’enfant et de l’accueillir comme un « tout petit » même si son âge réel est de quelques années.
Différentes réactions peuvent se manifester chez lui : tel enfant reste agrippé à ses parents et développe une grande angoisse de séparation. Tel autre « attaque » le lien à son parent, faisant perdre à celui-ci son bon sens et le comportement adapté. L’équilibre de la famille devient alors provisoirement précaire. Un autre enfant encore reste en retrait d’un parent ou des deux, car il lui faut du temps pour avoir confiance et se laisser apprivoiser, ce qui provoque parfois, chez les membres de son entourage proche, des sentiments de rejet ou d’agression. Certains parents seraient tentés de penser que l’enfant est ingrat, alors qu’il est blessé par le monde des adultes qui l’a oublié un temps, parfois trop longtemps. L’adoption n’implique pas une dette de reconnaissance de la part de l’enfant. Il s’agit d’un choix de vie des parents, issu de leur désir d’enfant. Cependant, même si certains d’entre eux conservent une certaine fragilité sur le plan de l’estime de soi, de la confiance envers les autres ou de la crainte de l’abandon, les enfants confiés en adoption sont en principe capables de développer un nouveau mode d’attachement, grâce à la présence d’un environnement familial sécure. Mais il s’agit là d’un processus qui prend un certain temps et demande parfois l’appui d’un accompagnement professionnel, pour co-construire une sécurité de base avec l’enfant
et soutenir ses parents.

Du côté des parents…
Les parents non plus ne sont pas dépourvus d’une histoire, faite elle aussi de forces et de fragilités en matière d’attachement. Souvent, les défis d'attachement posés par l'enfant entrent en résonance avec les attachements de ses parents. Avoir un enfant et l'élever nous renvoie tous à l’enfance qu’on a vécue, à nos parents et à leurs façons de faire ou de ne pas faire, à leur manière de nous manifester leur amour ou leur mécontentement. La plupart de ces souvenirs sont profondément enfouis à l’intérieur de nous, en particulier lorsqu’ils sont douloureux.
Si la façon dont l’enfant vit les relations perturbe les parents, ils peuvent ainsi avoir recours à leurs propres expériences d’attachement passées. Les ressentir leur permet de mieux reconnaître la difficulté de leur enfant et de ne pas la stigmatiser, mais de l’accueillir. Ils peuvent alors simplement l’entourer, l’accompagner en lui laissant le temps de découvrir et d’apprendre un nouveau mode d’attachement.

« Un enfant n’est réellement adopté que quand chacun se reconnaît dans les difficultés de cet enfant. » Nazir Hamad

Pour aller plus loin :

  • GUEDENEY N. et GUEDENEY A. (éd.), L’attachement. Concepts et applications,2ème éd., Masson, Paris, 2006.
  • MONTAGNER H. (1998), L’attachement. Les débuts de la tendresse, O. Jacob,Paris, 2006.
  • B. PIERREHUMBERT, Le premier lien. Théorie de l’attachement, Odile Jacob,Paris, 2003.
  • B. PIERREHUMBERT, L’attachement. De la théorie à la clinique, Eres, Toulouse,2005.

http://www.espace-adoption.ch/puma/pdfs/R_flexion_Carences_affectives.pdf

 
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