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Les enfants du paradis

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Témoignage Lisa post adoption
01-08-2011

LA DÉPRESSION POST-ADOPTION
PAR ROBIN MAY, SUPERVISEURE DU PROGRAMME D’ADOPTION, SOCIÉTÉ DE L’AIDE À L’ENFANCE D’OTTAWA


"Le phénomène de la dépression post-adoption représente l’un des enjeux les plus négligés en matière d’adoption. Si nous comprenons les mères biologiques qui souffrent d’une dépression post-partum et que nous leur venons en aide, nous avons cependant tendance à faire preuve d’intransigeance face à nos suppositions sur les mères adoptives. Nous nous attendons à ce que la mère adoptive, qui n’a pas donné naissance à son enfant et qui, par conséquent, n’aura pas subi de fluctuations hormonales excessives ni l’épuisement du travail, se montre tout à fait joyeuse et ravie au moment de devenir mère. Après tout, elle a choisi de bâtir sa famille grâce à l’adoption, et elle a attendu longtemps avant d’atteindre son but : pourquoi se sentirait-elle déprimée?


La dépression post-adoption affecte la famille tout entière. La plupart des pères adoptifs sont, incontestablement, vulnérables à cette forme de dépression, mais dans la plupart des cas, cependant, c’est la mère adoptive qui est considérée comme le parent susceptible d’en être le plus affecté. Cette situation s’explique par le fait qu’en général, les femmes demeurent à la maison pour s’occuper des enfants. Par conséquent, elles ont moins souvent l’occasion de chercher du répit et de se distraire des transformations qui s’opèrent au sein de leur foyer. Bien que les pères adoptifs puissent faire preuve d’un dévouement et d’une empathie exemplaires, ils ont également accès à des exutoires, dont le travail, la routine et les activités quotidiennes qu’ils continuent d’assumer comme avant, et qui leur permettent d’atténuer leur stress.


Le conflit provoqué entre l’espoir de se sentir aimée, de connaître le bonheur et d’établir immédiatement un lien solide avec son enfant ainsi que la réalité, qui se compose de stress et de fatigue, ainsi que de sentiments d’accablement et d’isolement, peut engendrer la culpabilité, une impression d’incompétence et la dépression, chez certaines mères adoptives. En fait, la dépression post-adoption peut faire passer la personne qui en souffre par toute la gamme des émotions, des sentiments de déprime et de tristesse, à l’extrémité la plus bénigne du spectre, en passant par des sentiments et des idées suicidaires ou infanticides, à l’extrémité la plus grave du spectre. Tant que la dépression post-adoption demeurera un phénomène méconnu et peu reconnu, un voile de secret et de honte ne fera qu’ajouter de l’huile sur le feu, puisque les mères adoptives s’efforceront de nier leurs sentiments et de les dissimuler.


À partir du moment où ils ont tenté de concevoir un enfant, Lisa et Dan ont attendu 6 ans avant d’accueillir Natalie, fille de 10 ans placée chez eux dans une perspective d’adoption. Après des années de traitements effractifs contre l’infertilité, suivis du processus envahissant d’étude du milieu familial, puis des sentiments d’« impuissance » face à l’attente d’un jumelage, Natalie venait enfin réaliser leur rêve.

Lisa est une femme mature, prospère et intelligente, qui est parvenue à la fin de la trentaine. Six semaines après le placement de Nathalie, elle a découvert à sa grande surprise qu’elle avait peine à se tirer du lit le matin pour affronter une nouvelle journée. Elle s’était imaginé qu’elle deviendrait une mère aimante et gâteau, qui chanterait des berceuses et qui éloignerait les cauchemars d’un baiser, tout en devinant aisément les besoins de son enfant et en parvenant à les combler. Elle est plutôt devenue une mère épuisée, ne sachant plus que faire pour apaiser l’irritabilité de Natalie, dont les pleurs et les manifestations de détresse ne semblaient jamais devoir cesser. Plus Lisa s’efforçait de devenir une « super-maman », plus Natalie devenait anxieuse et contrariée.


La situation avait porté un coup terrible à Lisa. Même si elle se comportait en battante dans la plupart des autres sphères de sa vie, elle se considérait maintenant comme une mère abominable.
« J’ai cru que je me glisserais tout simplement dans la peau de la mère de Natalie et que je savourerais chaque seconde passée dans l’exercice de mon nouveau rôle. Après tout, je l’avais attendue si longtemps! Je me sentais terriblement honteuse et coupable de constater que la maternité me déplaisait, et que Natalie ne ressemblait pas du tout à l’enfant que j’avais imaginée. Je croyais que j’établirais immédiatement un lien avec mon enfant, mais en réalité, j’ignorais si je pouvais même l’apprécier, et encore moins l’aimer. Par-dessus tout, j’étais morte d’inquiétude à l’idée que ces sentiments ne disparaîtraient jamais. »
Lisa s’est retrouvée dans un état chronique de culpabilité, de honte, de ressentiment et de colère. Plus les semaines passaient, et plus le profond sentiment d’être prisonnière d’une situation qu’elle ne parvenait pas à maîtriser l’aspirait vers le bas.

Dan s’efforçait de soutenir Lisa de son mieux, mais aucune incitation à la « sortir de son humeur » ne changeait quoi que ce soit.
« J’en suis venue au point où je trouvais des excuses pour éviter de voir ma famille et mes amis. Je n’avais tout simplement pas l’énergie nécessaire pour me donner l’impression que tout allait bien. Je me suis désintéressée des activités que j’aimais pratiquer. Le simple fait de sortir de chez moi me paraissait un exploit. Mis à part Natalie, je pouvais à peine prendre soin de moi. Je craignais que le fait de n’être qu’une mère "acceptable", pendant les premiers mois de notre relation, produirait un impact négatif permanent sur elle. Il ne fallait pas que j’avoue mes sentiments véritables à qui que ce soit. Après tout, j’avais voulu adopter cette enfant, alors pourquoi n’étais-je pas heureuse? »
À l’instar de plusieurs mères adoptives, Lisa croyait ne pas avoir le droit d’éprouver des sentiments de dépression et d’accablement. Ce n’est qu’après avoir admis sa douleur émotionnelle et son besoin d’aide qu’elle a accepté de consulter une thérapeute  « C’est la meilleure chose que j’aie jamais faite. Je me suis vite rendu compte que je n’étais pas la seule et que la dépression post-adoption constituait une réaction normale et observée couramment chez de nombreux parents adoptifs. »


Si le stress post-adoption est indissociable de la transition qui se produit au sein de toutes les familles adoptives, son fardeau devient insupportable pour certains parents, et la dépression clinique s’installe alors. Bien que le rôle de parent comporte des joies et des gratifications nombreuses, ses difficultés peuvent se révéler épuisantes, déroutantes et… déprimantes. Lisa connaissait la dépression post-partum, mais elle n’avait jamais entendu parler de dépression post-adoption. En fait, elle était aux prises avec des sentiments qui l’avaient anéantie, et elle se reprochait entièrement son état.
« Je sais maintenant que j’ai vécu une expérience normale et que je ne suis pas la mère épouvantable et peu affectueuse que je croyais être. J’avais tout simplement perdu quelque peu la maîtrise de moi-même et je devais obtenir de l’aide pour retrouver l’harmonie. Dès que j’ai commencé à donner un sens aux événements, j’ai pu modifier mes attentes et faire preuve d’un plus grand réalisme face aux aspects que je pouvais maîtriser ou non. J’ai réussi à me détendre et à apprécier tout simplement les liens que j’étais en train de tisser avec Natalie. C’est comme si j’avais ouvert les vannes pour laisser enfin déferler mon amour, ma fierté et mon attitude protectrice envers ma fille. »


En tant que praticiens de l’adoption, nous devons faire preuve de vigilance face au phénomène de la dépression post-adoption et approfondir nos connaissances à ce sujet. Nous devons normaliser cette expérience et aider les familles adoptives à acquérir un sentiment de sécurité, afin qu’elles puissent exprimer librement et ouvertement leurs émotions.
Le stress et la dépression post-adoption doivent être abordés pendant l’étude du milieu familial ainsi que les visites post-placement. L’impact de la dépression se révélerait moins traumatique, si les parents adoptifs étaient conscients de l’éventualité de cette expérience, en particulier s’ils présentent des antécédents d’épisodes dépressifs ou des antécédents familiaux de dépression.


Saisissez toutes les occasions possibles de discuter des stratégies et des mécanismes de soutien offerts à la famille, tant sur le plan personnel que professionnel. Aidez la famille à accéder à des ressources et à des services qui contribueront à changer sa situation. Le simple fait de trouver le temps nécessaire pour prendre un long bain, tandis que grand-maman assure ses services de gardiennage, peut s’avérer utile.

Bon nombre de parents disent bénéficier des consultations individuelles offertes par les thérapeutes, alors que d’autres parents trouvent du réconfort au sein des groupes de soutien. Par ailleurs, les groupes de soutien aux personnes affectées par la dépression post-partum accueillent également les parents adoptifs. Après tout, une dépression, c’est une dépression!

Un jour un sage a déclaré que l’expression de la joie intensifiait la joie, et que l’expression du chagrin apaisait le chagrin…
Bonne nouvelle toutefois, la dépression post-adoption se traite très facilement. La plupart des parents parviennent à se remettre sur les rails, à rétablir leur estime de soi et à vraiment apprécier la présence de leurs enfants "

 Adoption Council of Canada

 
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