Un chercheur angevin a dressé, à partir d’archives et de
témoignages, une histoire inédite de l’adoption internationale.
Une réalité forte dans le Grand Ouest, terre de tradition catholique, où sont nées de nombreuses associations d’adoptants.
Noël dernier, aéroport de Roissy.
Les images de parents adoptants guettant fébrilement l’arrivée de leurs
enfants haïtiens avaient marqué les esprits. Sur les 3 504 enfants
adoptés à l’étranger l’an dernier, près d’un millier provenait d’Haïti.
Professeur
d’histoire contemporaine à l’université d’Angers (Maine-et-Loire), Yves
Denéchère apporte un éclairage inédit à cet épisode en proposant un
ouvrage qui se présente comme la première synthèse sur l’histoire de
l’adoption internationale en France.
Depuis les années 1960, plus
de 100 000 enfants étrangers ont ainsi été adoptés, plaçant la France
parmi les premiers pays d’accueil, juste derrière les États-Unis.
Joséphine Baker adoptera 12 enfants
Tout
commence en 1923, avec une loi autorisant l’adoption de mineurs.
Jusqu’alors, le code civil de 1804 organisait l’adoption d’adultes par
des adultes pour donner un héritier à une famille qui en était
dépourvue. Désormais, il s’agit d’offrir une famille à un enfant qui
n’en a pas.
Le premier grand mouvement d’adoption internationale
vers la France est largement méconnu. Il concerne, à l’issue de la
Seconde Guerre mondiale, plusieurs centaines d’enfants abandonnés par
leur mère allemande et souvent non reconnus par leur père, soldat
français. Recueillis dans des Kinderheime (orphelinats), ils étaient
examinés par des médecins français, puis acheminés en France dans des
pouponnières.
L’adoption d’enfants étrangers demeure cependant
confidentielle. Elle est surtout l’œuvre de pionniers comme l’artiste
Joséphine Baker (1906-1975), qui adoptera 12 enfants de nationalités,
cultures et religions variées (Venezuela, Côte d’Ivoire, Corée…). Avec
leur « tribu arc-en-ciel », l’artiste et son mari Jo Bouillon voulaient
former une famille de toutes les couleurs, élevant chaque enfant dans le
respect de ses origines et de sa religion.
Dans les années 1960,
un autre mouvement d’adoption internationale peu connu apparaît : il
concerne des centaines d’enfants québécois adoptés en France entre 1966
et 1972, période durant laquelle les établissements de prise en charge
des enfants abandonnés de Québec et de Montréal prospectaient à
l’étranger (États-Unis, Belgique, France).
« D’une visée humanitaire, l’adoption devient une solution pour des couples en mal d’enfant »
L’adoption
internationale est encouragée par les congrégations religieuses qui
gèrent des orphelinats dans le tiers-monde. Elle est alors considérée
comme un acte de solidarité, rejoignant les préoccupations du secteur
humanitaire naissant. Mais elle prend vraiment son essor dans les années
1970, au moment où le nombre d’enfants français adoptables diminue.
« D’une
visée humanitaire, permettant de sauver définitivement un enfant de la
guerre ou d’une catastrophe, l’adoption devient également une solution
pour des couples en mal d’enfant », note l’historien.
Dans les
années 1980, le mouvement s’amplifie, notamment depuis l’Asie et
l’Amérique latine. Suivront les pays d’Europe de l’Est et d’Afrique dans
les années 1990. Les pays musulmans ne figurent pas parmi les pays
sources de l’adoption, l’islam ne reconnaissant pas ce type de
filiation.
Aujourd’hui, l’adoption dans le pays d’origine est encouragée
Yves
Dénéchère n’élude pas les difficultés et les dérives de certaines
procédures. Il rapporte par exemple l’histoire de cet enfant reconduit
dans son pays d’origine, dès son arrivée à l’aéroport, faute de convenir
à sa famille adoptive, les trafics organisés par des intermédiaires
malhonnêtes ou encore les manœuvres de certains pays sources, qui
ouvrent et ferment les vannes de l’adoption pour des raisons
politiques.
Mais son livre fourmille aussi d’histoires
personnelles émouvantes, comme celle des époux Alingrin, qui ont adopté
17 enfants handicapés à la fin des années 1960 et œuvré pour offrir une
famille à 200 enfants malades ou blessés de 21 pays différents.
Depuis
la convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998, l’adoption
internationale est entrée dans une phase de régulation. Elle tend à
diminuer au profit de l’adoption dans le pays d’origine, fortement
encouragée. « Cette histoire reste à écrire, car la grande génération
d’adoptés devient adulte, indique Yves Denéchère. Ils commencent à
témoigner et devenir de plus en plus visibles. »
(1) Dans
Des enfants venus de loin (Armand Colin, 408 p., 23,90 €), Yves
Denéchère met en valeur des archives inédites (publiques et privées,
ministérielles et associatives), ainsi que des témoignages d’adoptés et
d’adoptants. Il propose aussi un certain nombre de sources
audiovisuelles.