Skip to content

Les enfants du paradis

Narrow screen resolution Wide screen resolution Auto adjust screen size Increase font size Decrease font size Default font size
Accueil
Mères porteuses: Isa et Léa privées d'état-civil
20-03-2010

C'est un jugement contrasté qu'a rendu, hier, la Cour d'appel de Paris concernant l'affaire Mennesson : ces parents qui se battent depuis près de dix ans pour obtenir que leur filiation avec leurs jumelles, nées en 2000 aux Etats-Unis d'une mère porteuse, soit établie par la justice Française. L'arrêt de la Cour d'appel a finalement reconnu cette filiation mais il annule la transcription de l'acte de naissance des enfants sur les registres de l'état-civil français. « C'est un progrès, car la demande du parquet d'annuler la filiation n'a pas été retenue, a déclaré à la presse Maître Nathalie Boudjerada, avocate de Sylvie et Dominique Mennesson. Mais ce n'est pas suffisant. Cela ne répond pas complètement aux espérances de mes clients. Nous irons donc en cassation. »

Craignant jusque- là « la destruction de l'existence légale de leurs filles », Le couple est désormais rassuré d'être enfin considéré officiellement comme étant père et mère de leurs enfants. « Mais nous allons continuer à les défendre, a indiqué Sylvie Mennesson. Aucun parent ne peut accepter que même une simple transcription sur un état-civil ne soit pas faite. Nous continueront à nous battre pour nos filles et pour tous les enfants nés d'une gestation pour autrui (GPA, ndlr). »

Après plusieurs tentatives médicales infructueuses pour avoir un enfant, Dominique et Sylvie Mennesson, atteinte d'une malformation congénitale de l'utérus, ont eu recours à un protocole de GPA aux Etats-Unis, pays où ils se rendaient régulièrement pour leurs activités professionnelles. C'est en Californie, dans le comté de San Diego, qu'ils ont trouvé une mère porteuse, via une agence spécialisée. Cette femme, Mary Ellen F., a reçu des gamètes fécondées in vitro provenant de spermatozoïdes de Dominique Mennesson et d'ovocytes d'une amie américaine du couple. Les jumelles sont nées en octobre 2000. Sylvie a pu elle-même couper le cordon ombilical des bébés car, en Californie, la « Surrogacy », ou GPA, est légale mais encadrée. La mère porteuse des jumelles a été dédommagée à hauteur de 12 000 dollars (8500 euros). Avant la naissance de leurs filles, en juillet 2000, les époux Menesson avaient obtenu de la Cour suprême de l'Etat de Californie d'être déclarés «père génétique », pour Dominique, et « mère légale », pour Sylvie, "de tout enfant devant naître de Mary Elen F. entre le 15 août et le 15 décembre 2000". Après la venue au monde de Léa et Isa (*), leurs actes de naissance ont été enregistrés à l'état civil du comté de San Diego. Mais l'ambassade de France aux Etats-Unis a refusé la transcription des ces actes sur les registres de l'état-civil français en raison de l'incapacité des Menesson à produire un certificat d'accouchement et d'une suspicion de gestation par autrui. Pratique interdite en France.

 De retour en région parisienne avec leurs filles, munies de passeports américains, les Mennesson apprennent en mai 2001 qu'une information a été ouverte au tribunal de Créteil contre X, d'une part pour le chef d'"entremise en vue de gestation pour le compte d'autrui", et d'autre part contre eux pour le chef de "dissimulation" ayant entraîné une atteinte à l'état civil de leurs enfants. Fin 2002, un juge d'instruction rend un non-lieu concernant le délit que constitue en France le recours à une mère porteuse, et reconnaît la filiation des Mennesson avec leurs filles. Considérant que "dès lors qu'ils ont été commis sur le territoire américain où ils n'étaient pas répréhensibles, les faits visés ne constituaient pas des délits punissables sur le territoire national". Inacceptable pour le parquet de Créteil qui demande, - après avoir fait transcrire fin 2002 par le consulat général de France à Los Angeles les actes naissances des filles sur les registres de l'état civil français- l'annulation de ces transcriptions en invoquant un « trouble à l'ordre public ». A deux reprises, en 2005 et en 2007 en appel, les tribunaux rejettent la demande du parquet en se fondant sur « l'intérêt supérieur des enfants ». En décembre 2008, la Cour de cassation renvoie l'affaire en appel. Le résultat de celui-ci est la décision rendue hier. Décision qui précise que « la gestation pour autrui est en contrariété avec la conception française de l'ordre public international ». Les parents des jumelles peuvent donc exercer l'autorité parentale qui leur a été attribuée aux Etats-Unis. Mais les enfants restent considérées comme des citoyennes américaines bien que leurs deux parents soient français!

 

Cet arrêt intervient au moment ou deux projets de loi, ouvrant le chemin à la légalisation encadrée de la gestation pour autrui, ont été déposés au Sénat en février dernier. L'un, porté par Alain Millon (UMP), est signé par 21 sénateurs. L'autre, dont le chef de file est l'ancienne secrétaire d'Etat aux Droits des femmes, Michèle André (PS), comporte 43 paraphes dont celui de Robert Badinter. Quasiment identiques, ces deux projets de loi prévoient la régularisation des plusieurs centaines d'enfants déjà nés par GPA à l'étranger. C'est pourquoi Me Boudjerada, l'avocate des Mennesson a indiqué hier que la décision des juges de la Cour d'appel concernant ses clients, consiste à «renvoyer le législateur à sa responsabilité ».

Faire porter un enfant par une autre femme que la sienne est une pratique vieille comme le monde. Dès la Génèse, Abraham et Jacob, dont les épouses étaient stériles, ont pu devenir pères grâce aux ventres de leurs servantes. Jusqu'au début du XIXe siècle et de l'ère de la moralité catholisante, les "bonnes ,"dites "à tout faire", aidaient ainsi à assurer la pérénité des familles et des patrimoines. C'est l'insémination artificielle, et plus tard la fécondation in vitro, qui ont bouleversé ce procédé de filiation commun à quasiment tous les pays du monde. En 1985, en France, l'insémination d'une jeune femme pour un couple en mal d'enfant par le docteur Sacha Geller, alors infatigable promoteur des locations de ventres, avait fait scandale. Car pour la première fois, un procédé resté jusque-là clandestin, était porté par les médias à la connaissance de tous. En accord avec son mari, cette jeune femme, Patricia, déjà mère d'un petit garçon, avait reçu un dédommagement de 50 000 francs pour porter l'enfant d'un couple stérile vivant à Marseille. Somme fixée à l'époque par les associations militant pour ce qu'on ne nommait pas encore la "gestation pour autrui" et qui correspondait à un SMIC sur 12 mois en comprenant les examens antéconceptionnels. A la naissance de la petite fille de ses commanditaires, Patricia avait abandonné l'enfant sous X. Le père biologique du bébé avait aussitôt reconnu celui-ci. Et la mère par subsitution avait obtenu de l'adopter. Une procédure qui, en l'absence de législation, a longtemps fait jurisprudence dans nombre de pays occidentaux. La même qu'a avalisée cinq ans plus tard, en juin 1990, la Cour d'appel de Paris en accordant le droit d'adopter à la "mère" d'un enfant issu d'une gestation pour autrui... Avant que la Cour de cassation n'infirme cette décision, en suivant l'avis en tout point défavorable du Comité national d'éthique alors présidé par le plus que conservateur professeur Jean Bernard.

Interdit depuis 1994, en France, le recours à une mère porteuse est aujourd'hui autorisé dans plusieurs états américains, au Canada, au Danemark, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Belgique... Et même en Grèce ! On estime que 400 couples français se rendent chaque année à l'étranger pour obtenir une GPA.

SV

(*) Prénoms d'emprunts utilisés par la presse pour préserver l'anonymat des fillettes

http://chroniquesjudiciaires.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/03/19/meres-porteuses-isa-et-lea.html
 
< Précédent   Suivant >