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Les enfants du paradis

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Trouver les mots pour répondre aux enfants adoptés
10-01-2010
Expliquer l'adoption n'est pas toujours chose facile pour les parents adoptifs. Et, pour l'heure, l'accompagnement fait trop souvent défaut. Son renforcement est à l'étude dans le cadre de la réforme de l'adoption, en préparation au secrétariat d'Etat à la famille. C'était l'une des préconisations du rapport sur l'adoption réalisé par Jean-Marie Colombani(ancien directeur du Monde), remis en 2008 au président de la République. Cet accompagnement pourrait être développé dans le cadre des consultations d'orientation et de conseils en adoption (COCA).

Très vite, les enfants cherchent à savoir d'où ils viennent. Questionner ses origines, c'est établir les assises de son monde intérieur, structurer son sentiment d'appartenance et se forger un sentiment de sécurité. Il y a quelques décennies, il était possible de cacher à un enfant qu'il était adopté. La révélation qui s'ensuivait était souvent violente et traumatisante.

"Tous les psychologues s'accordent à dire qu'il faut que l'enfant ait le sentiment de l'avoir toujours su", assure Cécile Delannoy, mère adoptive et aujourd'hui grand-mère. En France, 80 % des enfants sont adoptés à l'étranger, et 60 % d'entre eux ont plus de 2 ans, ce qui a rendu cette culture du secret obsolète. L'adoption est intégrée dans le discours des parents, et c'est bien souvent une évidence pour les enfants. On dit au bébé : "Comme je suis content(e) de t'avoir ramené à la maison", "Quand on est venus te chercher...", "Quand tu es arrivé..."

Mais les choses se compliquent lorsque vient le temps des questionnements, entre 3 ans et 6 ans, quand l'enfant adopté se confronte au regard des autres. "C'est une fausse équation de considérer que maternité égale grossesse, et pourtant elle infiltre tous les esprits", explique la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval. Un enfant peut ainsi revenir bouleversé de l'école parce que l'un de ses camarades lui aura dit que sa mère n'est pas sa vraie maman.

"On est dans une biologisation des liens qui fragilise les parents adoptifs, déplore la psychanalyste Sophie Marinopoulos. En ce sens, l'adoption vient nous interpeller sur ce qu'est véritablement la parentalité." Pour répondre avec justesse à son enfant, les parents adoptifs ne doivent pas douter de leur position. "Il faut que les parents puissent respecter la dame qui a donné naissance à leur enfant, et la remercier pour leur avoir fait ce don, considère Mme Ce remerciement symbolique est une façon de se libérer en partie de la dette qu'ils ont envers elle."

Plus les parents se sentiront légitimes, plus les réponses seront faciles. D'autant que la façon dont les petits formulent leurs interrogations peut les heurter, les blesser. "Les jeunes enfants ne mettent pas de points d'interrogation", poursuit Mme Marinopoulos. Ils procèdent par affirmations. "Tu n'es pas mon vrai papa" signifie ainsi : "qu'est-ce qui fait de toi mon vrai père ?" "Tu n'es pas ma vraie maman" équivaut à : "faut-il que je sois sorti de ton ventre pour que tu sois ma mère ?" "Ce que l'enfant a envie d'entendre, c'est qu'il est à la bonne place. Ce dialogue va permettre la construction du lien familial", analyse Mme Marinopoulos.

"Les parents devront répondre aux interrogations de leur enfant qu'ils sont ses vrais et ses seuls parents, quand bien même celui-ci n'est pas issu de leurs corps", explique Mme Delaisi de Parseval. Mais cela ne signifie pas gommer les parents biologiques. "Il est nécessaire, pour se construire son identité narrative, que l'enfant ait, dans la mesure du possible, le maximum d'informations sur ses parents de naissance", poursuit la psychanalyste. Par ailleurs, il importe, pour sa construction psychique et sexuée, que l'enfant sache qu'il est issu d'un homme et d'une femme.

Pascale et son mari, comme beaucoup de parents adoptifs, ont composé un album de photos pour Anna, leur petite fille de 10 ans, adoptée dans un pays de l'Est. Ils y ont mis des images du voyage, à l'aéroport, de l'orphelinat, etc. L'enfant s'y plonge régulièrement, le montre à son entourage. La question la plus douloureuse que leur a posée leur fille est celle de savoir pourquoi ses parents biologiques l'avaient abandonnée. "Tes parents n'ont pas pu, n'ont pas su t'élever", lui répondent-ils.

La question du pourquoi taraude tous les enfants adoptés. "Il est important d'en parler, explique Françoise Vallée, psychologue clinicienne à l'espace adoption du conseil général de Loire-Atlantique. Il faut que l'enfant donne du sens à cela car, faute de réponses, il risque de penser qu'il n'était pas un bon bébé. Il faut lui donner les raisons dont on dispose dans le dossier, en se mettant à sa portée."

Face aux demandes des enfants d'aller dans leur pays d'origine, voire de rencontrer leur mère biologique, la prudence s'impose. "En demandant à aller dans le pays où il est né, l'enfant peut questionner la solidité du lien avec sa famille adoptive. Est-ce que je suis au bon endroit ?", remarque Mme Marinopoulos. Si, malgré la réassurance de ses parents, l'enfant persiste, mieux vaut que cette décision soit accompagnée par des professionnels. "Il faut y réfléchir, en discuter, tester les motivations, explique Mme Vallée. Cela peut prendre six mois, voire un an." Car la déception risque d'être forte. "A l'adolescence, le retour dans le pays d'origine peut aggraver les choses. Il semble plus facile chez les enfants plus jeunes, vers 7-9 ans", analyse Cécile Delannoy, qui soutient des familles dans le cadre d'une association. Dans tous les cas, il faut que l'enfant sache que, là-bas, il sera un étranger.


 

"Au risque de l'adoption",

de Cécile Delannoy (La Découverte/Poche, 2008, 280 p., 11 €).

"Moïse, Œdipe et Superman ", de Sophie Marinopoulos,Catherine Sellenet et Françoise Vallée (Fayard, 2003, 352 p., 20 €).

"Famille à tout prix ", de Geneviève Delaisi de Parseval (Seuil, 2008, 389 p., 22 €).

  Martine Laronche

 http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/article/2010/01/09/trouver-les-mots-pour-repondre-aux-enfants-adoptes_1289649_3238.html#ens_id=1289716

 
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