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Les enfants du paradis

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Medvedev le technocrate face à Obama le démocrate
15-11-2008
Jeunesse, formation de juriste, ascension fulgurante… les deux nouveaux présidents ont de nombreux points communs, même si leurs différences demeurent évidemment profondes.

 Coïncidence ou pas, le premier discours de Barack Obama, fraîchement élu, et la première grande allocution présidentielle de Dmitri Medvedev [élu le 7 mai 2008] ont été prononcés le même jour. Evidemment, tout le monde a eu envie de les comparer, du moins en Russie, où les commentateurs n’ont pas été avares de bons mots. Dans le reste du monde, des centaines de millions de personnes ont bu les propos victorieux d’Obama, tandis que seules les déclarations de Medvedev sur les mesures spéciales envisagées pour contrecarrer l’installation du bouclier antimissile en Europe étaient reprises, toujours assorties de re­mar­ques négatives.

Les deux hommes n’ont rien de banal en tant que présidents de la Russie et des Etats-Unis. Obama est extrêmement jeune pour se retrouver à la tête d’une grande puissance, à l’instar de Medvedev, qui a même quatre ans de moins que lui. Tous deux sont des intellectuels diplômés en droit. Leurs carrières ont été fulgurantes, et, il y a quelques années encore, personne n’aurait imaginé qu’ils dirigeraient leurs pays respectifs. Malgré toutes ces ressemblances, ils ont prononcé des discours exprimant une vision du monde et une approche de la politique totalement différentes, même si les termes employés étaient parfois semblables.

Les deux hommes ont fait appel avec insistance au peuple et au sens patriotique. Ils n’ont pas dédaigné les ficelles populistes, chacun dans sa tradition nationale. Medvedev a fustigé la bureaucratie, tandis qu’Obama a invoqué d’une voix vibrante le rêve américain. Le président russe a employé une quinzaine de fois les mots “liberté”, “démocratie” et “justice”, alors que le président américain a privilégié les mots “possible” et “espoir”. Sans s’étendre sur les détails, ils ont de concert juré de vaincre la crise et souhaité le changement.

Alors qu’Obama s’adressait à une cinquantaine de millions de personnes qui avaient voté pour lui, Medvedev parlait devant un millier de députés, de gouverneurs et de hauts fonctionnaires. Lorsque Obama répétait inlassablement “nous”, “notre progression”, “nos tâches” (et même s’il n’était pas totalement sincère), ses auditeurs y croyaient. “Nous”, cela signifiait le peuple, les citoyens des Etats-Unis. Car c’est bien aux citoyens, aux simples gens que fait appel le nouveau président. Ce sont eux qui ont désormais “une chance de réaliser le changement”. Et lorsqu’il dit “sans vous, rien ne sera possible”, ils en sont parfaitement conscients, c’est pour eux une évidence.

Même devant un auditoire choisi, Dmitri Medvedev ne s’est pas risqué à dire “sans vous, rien ne sera possible”. Ce cercle, aussi restreint soit-il, était encore trop étendu pour pa­reille affirmation. En Russie, les décisions sont prises par beaucoup moins de gens que cela. Le “nous” qu’il s’acharnait à répéter voulait dire “nous, le pouvoir”, et ce n’est qu’en tant qu’objet d’un paternalisme protecteur que les “citoyens” apparaissaient à tous les paragraphes de son discours.

Blottis sous l’aile protectrice de l’Etat, ceux-ci sont censés ne pas s’inquiéter pour leurs salaires, leurs retraites ou leurs économies. L’Etat va prendre soin de tout, sans eux. L’Etat se moque bien des “droits et libertés” abstraits du citoyen, et n’a aucune intention de se soucier de son opinion. Sur tous ces points, la nouvelle réforme du système politique est faite pour limiter encore plus la participation – déjà fort modeste – des citoyens à la politique officielle. Ils auront moins souvent l’occasion de voter pour élire le président ou leurs députés ; les maires qu’ils ont choisis seront plus faciles à limoger qu’aujourd’hui.

Le développement du pays est programmé jusqu’en 2020

Toutes les concessions libérales (ou qui pourraient apparaître comme telles) se limitent au fait que les responsables seront moins durs avec leurs administrés – devant les tribunaux, par exemple. Sinon, elles s’adressent à divers groupes haut placés, et non aux simples citoyens. Cette approche technocratique de tous les domaines de l’existence ne constitue pas seulement le fil rouge de l’allocution de Dmitri Medvedev. Elle illustre la manière de penser de tout le cercle dirigeant. Il n’y a qu’au sommet de l’Etat que l’on sait tout et que l’on décide de tout. Jusqu’en 2020, ce qui est au programme pour le pays, c’est la politique des quatre i (institutions, in­vestissements, infrastructures et innovations).

“Il fau­dra la mener à bien… en lui ajoutant une cinquième composante, l’intellect”, a-t-il ajouté. Ainsi, tout est décidé et mis en place de nombreuses années à l’a­vance, et il ne reste aucun es­pace pour d’é­ventuels dé­saccords. Ni même pour la simple initiative, dé­mar­che saluée en théorie mais réprimée dans la pratique. Naturellement, la vraie vie n’a ja­mais correspon­du à ce sché­ma technocratique, et elle ne le fera pas plus à l’avenir. On peut ajouter que le schéma démocratique, ou populiste si l’on préfère, n’a jamais réussi non plus à ­maîtriser les paramètres de la vie réelle.

Le nouveau président américain en a bien conscience quand il dit que “quantité de personnes n’approuveront pas les décisions que je vais prendre, ni la politique que je vais mener en tant que président”. Dans tous les pays, à toutes les époques, les initiatives du gouvernement en place n’ont pas toujours plu à la majorité, et toutes les décisions des responsables ne leur ont pas été dictées par la base électorale. Mais que la liberté vaille mieux que l’absence de liberté, et que donc la démocratie vaille mieux que la technocratie, même Dmitri Medvedev le sait. Et tout le monde sait qu’il le sait.

 

http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=91510

 
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