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Les enfants du paradis

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Medvedev-Poutine, un tandem de dix-sept ans
19-08-2008

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PORTRAIT CROISÉ - Élu le 2 mars 2008 à la présidence de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev succède à Vladimir Poutine le 7 mai suivant. Souvent, on présente les deux hommescomme s'ils assumaient consciemment et presque malicieusement deux rôles. Le gentil et le méchant. Mais les êtres humains sont toujours plus compliqués qu'il ne semble.

On les avait surnommés Medvetine et Poudev. Comme s'il s'agissait de duettistes. Deux comiques. Pour rire. Ou essayer. Mais ni le président de la Fédération de Russie, Dmitri Anatolievitch Medvedev, ni son premier ministre, Vladimir Vladimirovitch Poutine, ne se sont jamais prêtés au jeu. Ils n'ont pas la vocation du théâtre de boulevard. Encore moins des cabarets. Dima, qui aura 43 ans au mois de septembre prochain, a gardé son physique de premier de la classe, fort en thème et en droit romain. Volodia, 56 ans,sous ses dehors de givre, est une boule de nerfs. Pelucheux, le chef de l'État est un modèle de courtoisie, lorsqu'il n'est pas saisi par un caprice d'enfant gâté. Tout en arêtes, le chef du gouvernement sait séduire mais il peut aussi se montrer d'une rare violence verbale. Pour effrayer. Par plaisir ? Il n'est pas impossible que VVP aime voir ses interlocuteurs se trémousser sur leur chaise, ressentir sur sa propre peau, la crainte qu'il inspire. Comme Ivan le Terrible. Vladimir Poutine a une prédilection pour le tsar le moins débonnaire de l'histoire de la Russie. Il se réfère souvent aussi à Pierre le Grand dont les colères faisaient trembler Saint-Pétersbourg.

Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine sont tous deux natifs de la capitale impériale. Ils y ont passé leur enfance et fait des études à la faculté de droit. Ce qui n'est pas anodin. Les Pétersbourgeois, même lorsqu'ils ne sont pas de vieille souche, ont tendance à développer un complexe de supériorité.

Bien que Poutine soit son aîné de treize ans, le président et le premier ministre ont tous deux eu comme professeur Anatoli Sobtchak, qui, après l'effondrement de l'URSS, deviendra le maire réformateur de Saint-Pétersbourg. L'un comme l'autre feront partie de ses proches conseillers, mais très vite Poutine, qui entre-temps a démissionné du KGB avec le grade de lieutenant-colonel, prendra l'ascendant sur Medvedev qui trouvera la chose naturelle. Brillant, presque incollable sur les questions juridiques, consciencieux et efficace, Dmitri Anatolievitch n'est pas un meneur d'hommes. Il n'a pas non plus reçu une solide formation de manipulateur des âmes et de «passe-murailles» comme son prédécesseur au Kremlin.

Lorsqu'il était adolescent, Dmitri rêvait de jeans et de concerts hard rock. Au même âge, Vladimir voulait devenir un héros. De l'ombre. Parce que dans les services secrets «un seul homme décide de milliers de destins». D'aucuns pensent que la volonté de puissance qui anime Vladimir Poutine trouve sa cause dans une enfance de gringalet qui a eu du mal à s'imposer dans les bagarres de rue face aux grands et aux costauds. Très tôt, le petit Volodia prendra des cours d'arts martiaux pour pallier sa taille. Dmitri Medvedev aurait également souffert de sa médiocre stature. Mais il est probable que l'ambition qui anime les deux hommes a une autre origine. Plus secrète. L'orgueil des timides. Fils unique d'enseignants, Dima a vécu dans un deux-pièces de 40 mètres carrés des faubourgs de Saint-Pétersbourg. La norme pour l'intelligentsia soviétique. Il était entendu que lui-même deviendrait professeur. Volodia, lui, habitait avec ses parents, ouvriers, dans un appartement communautaire. Ses deux frères aînés étaient morts en bas âge. Son père rêvait pour lui d'une carrière d'ingénieur. Dmitri, qui n'a pas un caractère de rebelle, a suivi les rails. Volodia, volontiers hargneux, s'est entêté à devenir un espion. Mais il n'a pas trouvé ce qu'il cherchait au KGB. Le pouvoir. La gloire. Un surplus de vie. Dima de son côté est plutôt satisfait de son existence de professeur d'université. Il se dit que «la vie est simple». Il ne tardera pas à comprendre qu'elle l'est rarement, mais il lui en restera toujours un je-ne-sais-quoi de sucré. Tout naturellement, comme la plupart des jeunes gens éduqués, il prendra fait et cause pour la perestroïka et rejoindra l'état-major de campagne d'Anatoli Sobtchak lorsque celui-ci se présentera aux élections législatives. Dmitri aime la liberté. Il croit à ses vertus. Volodia, lui, en redoute les débordements. Parce que les Russes ont tendance à l'anarchie aussitôt qu'on leur lâche la bride. Il le sait par expérience personnelle. S'il ne se contraignait pas, il serait Gengis Khan. Ou moine, mystique au fin fond de la Sibérie.

Souvent, on présente les deux hommes comme s'ils assumaient consciemment et presque malicieusement deux rôles.Dima figurerait le gentil. Volodia le méchant. Mais les êtres humains sont toujours plus compliqués qu'il ne semble. Medvedev, qui a des convictions libérales, ne se berce jamais d'illusions. Réaliste et pragmatique, il sait que son pays a payé très cher sa propension aux utopies. Pour lui la démocratie est un objectif et non un sésame. Un horizon, jamais la panacée. Poutine, qui reconnaît que sa mentalité, très russe, le porte à réclamer une «main de fer», n'ignore pas les dangers de cette tendance. «On réclame l'ordre. Il finit par vous étouffer.»

Ils sont lucides. Et fatalement cyniques. Ils savent jusqu'où peuvent s'abaisser des hommes. Ils n'ignorent pas non plus leurs propres faiblesses. Dima aurait tendance à taper du pied pour être obéi. Volodia ne supporte pas un obstacle sur son chemin. «Mon plaisir, c'est de parvenir au but que je me suis fixé. Et si quelque chose m'en empêche, je l'élimine.» Est-ce à dire que le président est plus humain, moins implacable que son premier ministre ? Les styles et les tempéraments sont différents mais la détermination est la même. La volonté de restaurer la grandeur de la Russie également. L'un comme l'autre sont habités par le «destin» de leur pays. Plus ouvert, moins tendu, Dima n'a pas renoncé à ce tropisme russe. Plus grinçant, moins policé, Volodia est hanté par le spectre du déclin des empires. Il s'oppose à cette fatalité. Il ne reculera devant aucun moyen pour affirmer la puissance russe. Et l'a démontré une fois de plus lorsque la Russie a riposté avec énergie aux incursions des Géorgiens en Ossétie du Sud, une province séparatiste protégée par Moscou. Mais on aurait tort de penser que Dmitri Medvedev eût pu se montrer plus conciliant.

Les Russes sont convaincus que le chef de l'État préside sous la tutelle de son premier ministre. C'est Vladimir Poutine qui l'a désigné comme son dauphin. C'est lui qui l'a fait élire. Surnommé le Grand Vizir, du temps où il n'était encore que le chef de l'administration présidentielle, Dmitri Anatolievitch est-il devenu calife, à la place du calife ? Tout le monde en doute. Lui-même ne cherche pas à se faire passer pour le patron. Mais l'homme n'est pas non plus une marionnette entre les mains de l'ancien président. Très vite, à la mairie de Saint-Pétersbourg, Poutine a reconnu les qualités de Medvedev, son intelligence, sa capacité de suivre, sans dévier, un raisonnement et à l'imposer aux autres. Leur tandem date de dix-sept ans. Noces de rose. Fleur et épine. Sur une même tige de bois.

Irina de Chikoff  18/08/2008

 http://www.lefigaro.fr/international/2008/08/19/01003-20080819ARTFIG00007-medvedev-poutine-un-tandem-de-dix-sept-ans-.php

 
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